S02

Accueil | Biographie | Mes livres | Conférences | Expositions | Enseignement | Articles

 

 

En quelques années de mode féminine, il y a un siècle… une hécatombe !

 

 

catalogue Au Bon Marché, 1895

La mode ! La contagion s’étendit bien vite des villes aux campagnes : « Beaucoup de jeunes paysannes ont pris des goûts de luxe, leurs économies sont absorbées par les toilettes et les affûtiaux » écrivait un journaliste de l’Illustration au début du XXe siècle. En 1927, la revue L’Alliance nationale pour l’accroissement de la population et le Journal des instituteurs et institutrices de France dénonçaient la mode et son commerce par catalogue, ces « inventions sataniques qui mettent en péril la population et toute la nature. »

1888 - corset à baleines pour amazone.

Le corset, instrument de toilette et de torture qui traversa les siècles, meurtrissait les chairs, déformant les bustes et les hanches. Au fil des modes et des années, les lames souples de fer se transformèrent en ivoire, en écaille puis en fanons de baleines. Corset d’été, d’hiver, d’amazone : un corset comptait jusqu’à 104 « baleines » or, la France produisait 1,4 millions corsets par an ! « La mer du Nord et la Baltique finirent par être dépeuplées. Les pêcheurs norvégiens et hollandais fouillaient en vain les brumes de l’océan pour fournir à la coquetterie féminine l’indispensable auxiliaire qu’elle réclamait : les cétacés pourchassés s’étaient réfugiés vers les glaces arctiques et Paris faillit manquer de baleines ! »

Lectures pour Tous, 1903.

 

Le Journal de la Mode, 1907.

 

Mai 1908 à Rotten Row, Hyde-Park à Londres : Mlle Titcombe, écuyère à l'Hippodrome de Londres porte robe fendue et chapeau à plumes... et voilà comment le jeune ministre du Commerce Winston Churchill, la croisant, faillit tomber de son cheval !

 

La superbe écuyère Rosa Wentworth, connue du monde entier... pour son art et ses chapeaux à plumes !

 

Pour les chapeaux, parmi tous les motifs de parure, le plumage des oiseaux, plus exactement l’aile de l’oiseau, fut la parure la plus convoitée par la femme ! Pour

L'Impératrice Augusta-Victoria en uniforme de colonelle du régiment des Gardes du Corps avec tricorne galonné d'argent et empanaché de plumes blanches.

 satisfaire les besoins de la plumasserie, les volatiles de la terre entière furent massacrés sans merci par millions. Cygnes, eiders, pétrels, macareux, pingouins, mouettes furent recherchés en Islande, au Canada, aux îles Sandwich, aux îles Féroé où on y tuait, sans fusil pour ne pas abîmer le plumage, un peu plus de 600 000 volatiles par an. Lophophores, perruches, satyres, martins-pêcheurs, paradisiers, grues, marabouts, aigrettes, paons furent parmi les espèces les

 plus demandées.

 

En Chine, le paon était l’objet d’un commerce très actif et l’Égypte, théâtre d’incroyables hécatombes, fournissait quotidiennement plus de 80 000 pièces. En 1898, le Venezuela exportait 2  839 tonnes de plumes d’aigrettes, ce qui représentait le massacre de plus de 3 millions d’oiseaux ! Cette même année, la plumée des autruches du Cap avait fourni 153 tonnes de plumes produites par 350 000 volatiles, pour un montant de 15 millions de francs soit à peu près l’équivalent de 47 millions d’euros. Un journaliste du Soleil du Dimanche, s’appuyant sur des statistiques alarmantes parues en 1898, écrivait : « Veut-on savoir combien les chapeaux des femmes consomment d’oiseaux par an ? Pas moins de trois cents millions ! » Et ce carnage ne représentait que 2 % de la matière première utilisée, les volatiles rustiques de nos basses-cours fournissant les 98 autres pour cent ! En 1908, le magazine Femina révélait qu’un seul plumassier de Paris avait utilisé 40 000 hirondelles, 32 000 oiseaux mouches, 80 000 oiseaux de mer et 800 000 paires d’ailes de toutes sortes !

 

Mode 1906 pour patineuses : veste de fourrure, robe garnie de bandes de vison...

 

Novembre 1904 : au départ du Rallye de Chantilly (course de 20 km), 17 cavaliers et 3 amazones.

 

1ère chauffeuse de taxi à Paris en grosse veste de fourrure.

 

Après un long déclin au XIXe siècle, la fourrure retrouva, au tournant du XXe siècle et jusqu’au début des années 1910, un développement inattendu avec l’arrivée « des merveilleux fous roulants sur leurs drôles de machines »… Découvertes et sans pare-brises, les voitures ne protégeaient ni du froid, ni du vent, ni de la poussière : « conducteurs comme passagers disparaissaient sous d’immenses pardessus tout en peau de rennes, avec des revers de rat musqué et doublé de cette étrange fourrure inconnue en France, la civette, surnommée lyre-skin, qui donne naturellement le dessin d’une lyre blanche sur fond noir, sous des manteaux de fourrure ou de pelisses en drap fantaisie imperméabilisé avec col d’astrakan  et doublure de fourrure diverses: renards, chèvres de chine ou de Suisse, loups, fouines, putois, visons, hermines, ventres d’écureuils gris, hamsters, chats de Russie, opossums, chinchillas, loutres, etc

1910 - La mode d'hiver.

En ville, les frileuses s’enveloppaient d’écharpe gigantesque en fourrure et cachaient leurs mains gantées dans des manchons douillets. » En 1910, le Canada exportait 230 000 peaux de vison, en 1930, l’État de New York nous livrait 100 000 peaux d’hermine (en 1910, un seul manteau nécessitait 1 200 à 1 500 peaux !). En 1908, 2,6 millions de peaux d’écureuils gris s’étaient vendues en Russie et en 1911, ce fut 4 fois plus. Avant la Première guerre mondiale, la production totale des astrakans de Boukhara variait de 1  800 000 à 2 000 000 de peaux… Les premiers élevages d’animaux sauvages virent le jour en 1904.

En 1906, à Paris, pour parer les dames, on dénombrait 2 500 ateliers de confection avec un effectif de 25 000 couturières, les dix plus gros magasins de mode employaient chacun de 300 à 800 vendeuses ; le travail des étoffes employaient, en France, 1380 000 femmes - dont 143 648 patronnes - et environ 58 000 dentellières de profession…

1893 : chiens contrebandiers accompagnés jusqu'à la frontière qu'ils devront franchir sans se faire tuer par les douaniers. Leur précieuse cargaison sera récupérée par d'autres contrebandiers placés plus loin...

 

La dentelle, autre luxe convoité et objet de contrebande entre la France et la Belgique. Des chiffres font frémir : en 16 ans, les douaniers tuèrent plus de 40 000 chiens contrebandiers, les corps enroulés dans la précieuse broderie, le tout recouvert de toile de jute, un collier à pointes acérées autour du cou pour les protéger des attaques des chiens douaniers qui les pistaient…

 

Rosine Lagier

 

Sources : mes collections, ma bibliothèque ancienne et mon ouvrage « Il y a un siècle, la femme »
Éditions Ouest-France.

 

 

 

Retour Liste Articles